Affaire C-447/18

UB contre Generálny riaditeľ Sociálnej poisťovne Bratislava

Arrêt du 18/12/2019

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Coordination des systèmes de sécurité sociale - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 3 - Champ d'application matériel - Prestation de vieillesse - Libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union européenne - Règlement (UE) n° 492/2011 - Article 7 - Egalité de traitement entre travailleurs nationaux et travailleurs migrants - Avantages sociaux - Législation d'un Etat membre réservant l'octroi d'une « allocation aux représentants sportifs » aux seuls citoyens de cet Etat

  1. L'article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 883/2004 doit être interprété en ce sens qu'une allocation, versée à certains sportifs de haut niveau ayant représenté un Etat membre dans le cadre de compétitions internationales, ne relève pas de la notion de « prestation de vieillesse » et donc du champ d'application de ce règlement.
  2. L'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation d'un Etat membre qui subordonne le bénéfice d'une allocation, versée à certains sportifs de haut niveau ayant représenté cet Etat dans le cadre de compétitions internationales, à la condition que le demandeur ait la nationalité du pays.

I. Faits

UB, sportif ayant représenté la Tchécoslovaquie dans des compétitions internationales, a remporté en 1971 les médailles d'or et d'argent respectivement aux championnats d'Europe et du monde de hockey sur glace. Lors de la scission entre la Tchéquie et la Slovaquie en 1992, il a opté pour la nationalité tchèque. Depuis 1967, il réside sur le territoire aujourd'hui slovaque.

En 2015, UB a demandé à bénéficier de l'allocation aux représentants sportifs prévue par la législation slovaque. Les autorités compétentes slovaques ont rejeté sa demande, au motif que cette allocation est réservée aux nationaux.

II. Litige national et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

Suite à contestation de cette décision, la juridiction de renvoi s'interroge sur la conformité de la législation nationale avec le droit de l'Union. Elle pose à la Cour une question préjudicielle :

Le droit de l'Union s'oppose-t-il à une règlementation d'un Etat membre qui subordonne le bénéfice d'une allocation, destinée à certains sportifs de haut niveau ayant représenté cet Etat dans le cadre de compétitions internationales, à la condition de posséder la nationalité du pays ?

III. Réponse de la Cour

La CJUE vérifie d'abord si l'allocation aux représentants sportifs relève du champ d'application matériel du règlement n° 883/2004 (A). Elle examine ensuite si la législation slovaque est conforme aux dispositions du droit de l'Union applicables à cette affaire (B).

A. Champ d'application matériel du règlement n° 883/2004

Prestation de sécurité sociale

La Cour rappelle que la distinction entre les prestations relevant du champ d'application du règlement n° 883/2004 et celles qui en sont exclues repose sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment finalités et conditions d'octroi, peu importe la qualification retenue par la législation nationale.

Une allocation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale si elle remplit 2 conditions cumulatives :

L'absence de satisfaction de l'une de ces conditions implique que la prestation examinée ne relève pas du champ d'application du règlement n° 883/2004. La CJUE apprécie d'abord la seconde condition dans cette affaire.

Prestation de vieillesse

Peut être qualifiée de prestation de vieillesse, au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 883/2004, une allocation supplémentaire :

Dans cette affaire, la Cour relève que :

L'allocation aux représentants sportifs ne constitue donc pas une prestation de vieillesse et ne se rapporte à aucun des risques limitativement listés à l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004.

Prestation spéciale en espèces à caractère non contributif

La CJUE précise que cette allocation ne peut être qualifiée de prestation spéciale en espèces à caractère non contributif, au sens de l'article 70 du règlement n° 883/2004 :

La prestation ne relève donc pas du champ d'application du règlement n° 883/2004.

B. Examen de la conformité au droit de l'Union de la législation slovaque

Applicabilité de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011

La Cour souligne que, lors de l'adhésion de la Slovaquie et Tchéquie à l'UE le 01/05/2004 et jusqu'en 2006, UB travaillait dans une école primaire slovaque. Or l'article 45, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'UE prévoit que la libre circulation des travailleurs implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, concernant l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

L'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 est l'expression particulière, dans le domaine spécifique de l'octroi d'avantages sociaux, de la règle d'égalité de traitement consacrée à l'article 45, paragraphe 2, TFUE. Il prévoit que le travailleur ressortissant d'un Etat membre bénéficie, sur le territoire des autres Etats membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

La CJUE a déjà jugé qu'un travailleur qui exerçait une activité salariée dans l'Etat membre d'accueil lors de l'adhésion de son Etat membre d'origine à l'Union et a continué à exercer une telle activité après cette adhésion peut, dès la date de l'adhésion, invoquer l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 (dont le libellé a été repris à l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011), à moins que le régime transitoire prévu par l'acte d'adhésion n'en dispose autrement.

L'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 ne faisant pas l'objet de dispositions transitoires dans l'acte d'adhésion à l'UE de la Tchéquie et Slovaquie, il s'applique au ressortissant tchèque travaillant en Slovaquie, depuis le 01/05/2004.

La Cour en déduit que l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 bénéficie à un travailleur comme UB qui, n'ayant pas déplacé sa résidence, s'est trouvé, en raison de l'adhésion à l'Union de ses Etats d'origine et de résidence, dans la situation d'un travailleur migrant.

Notion d'avantage social

La CJUE vérifie alors si l'allocation aux représentants sportifs relève de la notion d'« avantage social », au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 applicable à cette affaire.

Elle précise que cette notion doit être interprétée de manière large, pour atteindre l'objectif d'égalité de traitement recherché.

Elle comprend tous les avantages :

La Cour estime que la possibilité pour un travailleur migrant d'être récompensé, comme les nationaux, pour les résultats sportifs exceptionnels obtenus en représentation de l'Etat membre d'accueil, contribue à son intégration dans cet Etat et la réalisation de l'objectif de libre circulation.

L'allocation aux représentants sportifs constitue un avantage social, qui, réservé aux seuls nationaux, créé une discrimination directe contraire au droit de l'UE.

Réponse à l'argumentaire du gouvernement slovaque

Le gouvernement slovaque invoque la jurisprudence de la CJUE qui a déjà jugé qu'une allocation accordée aux anciens combattants ou prisonniers de guerre, en témoignage de reconnaissance nationale pour les épreuves endurées, ne constituaient pas un avantage social. Bien que le demandeur fût un travailleur migrant, cette allocation ne contribuait pas à son intégration dans l'Etat membre d'accueil mais était versée en contrepartie des services rendus à cet Etat.

La Cour estime que dans cette affaire, la finalité de l'allocation aux représentants sportifs diffère : récompenser des athlètes de haut niveau ayant représenté l'Etat membre d'accueil à des compétitions sportives internationales et remporté des résultats remarquables. Cette allocation vise à :

La CJUE considère que le bénéfice, pour le travailleur migrant, de ce prestige, dont jouissent les ressortissants de l'Etat membre d'accueil se trouvant dans la même situation (voire ayant remporté des médailles dans la même équipe lors de compétitions de sport collectif), contribue à faciliter l'intégration du travailleur migrant dans la société de cet Etat.

La Cour souligne aussi l'importance sociale considérable du sport, notamment amateur, dans l'Union (reflétée à l'article 165 TFUE) et son rôle comme facteur d'intégration.