Affaire C-372/18

Ministre de l'Action et des Comptes publics contre M. et Mme Raymond Dreyer

Arrêt du 14 mars 2019

Renvoi préjudiciel - Sécurité sociale - Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes - Règlement (CE) n° 883/2004 - Article 3 - Champ d'application matériel - Prélèvements sur les revenus du patrimoine d'un résident français affilié au régime de sécurité sociale suisse - Prélèvements affectés au financement de 2 prestations gérées par la caisse nationale française de solidarité pour l'autonomie - Lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale - Notion de « prestation de sécurité sociale » - Appréciation individuelle des besoins personnels du demandeur - Prise en compte des ressources du demandeur dans le calcul du montant des prestations

L'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens que des prestations, telles que l'allocation personnalisée d'autonomie et la prestation compensatoire du handicap, doivent, aux fins de leur qualification de « prestations de sécurité sociale » au sens de cette disposition, être considérées comme étant octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels du bénéficiaire, dès lors que les ressources de ce dernier sont prises en compte aux seules fins du calcul du montant effectif de ces prestations sur la base de critères objectifs et légalement définis.

1. Faits

Les époux Dreyer sont des ressortissants français, résidant en France et fiscalement domiciliés dans cet État. M. Dreyer, retraité, a effectué sa carrière professionnelle en Suisse. Le couple est affilié au régime de sécurité sociale suisse.

L'administration fiscale française a assujetti les époux Dreyer, au titre de revenus du patrimoine perçus en France, à un ensemble de contributions et prélèvements, dont notamment le prélèvement social et sa contribution additionnelle, destinés à financer 2 prestations gérées par la caisse nationale française de la solidarité pour l'autonomie (CNSA) : l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation compensatoire du handicap (PCH).

2. Litige national et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

Considérant que ces prestations correspondent à des « prestations de sécurité sociale » au sens des règlements de coordination, les époux Dreyer contestent leur assujettissement devant le tribunal administratif de Strasbourg, au motif qu'étant assurés suisses, ils ne doivent pas contribuer au financement du régime de sécurité sociale français, en raison du principe d'unicité de législation résultant de l'article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004. Le tribunal décharge le couple des contributions et prélèvements.

Le ministre de l'Action et des Comptes publics interjette appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Nancy. La cour d'appel rappelle la jurisprudence de la CJUE qui qualifie une « prestation de sécurité sociale » à 2 conditions cumulatives :

La cour d'appel estime que l'APA et la PCH remplissent la seconde condition, mais relève qu'elles peuvent être considérées comme étant attribuées suite à une appréciation individuelle des besoins personnels du bénéficiaire, du fait que leur montant dépend de son niveau de ressources ou varie en fonction de ses ressources.

Elle sursoit donc à statuer et pose à la CJUE la question préjudicielle suivante :

L'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 doit-il être interprété en ce sens que des prestations, telles que l'APA et la PCH, peuvent, aux fins de leur qualification de « prestations de sécurité sociale » au sens de cette disposition, être considérées comme étant octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels du bénéficiaire, alors que le calcul de leur montant dépend des ressources du bénéficiaire ou varie en fonction de ces ressources ?

3. Réponse de la Cour

La Cour rappelle d'abord que le règlement (CE) n° 883/2004 s'applique à la Suisse et donc à la situation des requérants, ressortissants d'un Etat membre affiliés au régime de sécurité sociale suisse.

Elle précise ensuite la notion de « prestation de sécurité sociale » pour répondre au problème de droit posé par la juridiction nationale et aux observations écrites présentées par le gouvernement français dans le cadre de l'affaire.

3.1. Notion de « prestation de sécurité sociale »

La Cour commence par relever que la distinction entre une prestation relevant du champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004 et une prestation qui en est exclue se base sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment finalités et conditions d'octroi, peu importe la qualification choisie par la législation nationale.

Elle développe ensuite la condition objet de la question posée par la juridiction nationale : pour qualifier une prestation de « prestation de sécurité sociale », son octroi ne doit pas dépendre de l'appréciation individuelle des besoins personnels du demandeur. Cette condition est satisfaite lorsque l'octroi d'une prestation s'effectue au regard de critères objectifs qui, dès lors qu'ils sont remplis, ouvrent droit à la prestation sans que l'autorité compétente puisse tenir compte d'autres circonstances personnelles.

3.2. Solution au problème de droit

La Cour examine donc les conditions d'ouverture de droit à l'APA et la PCH. Elle souligne que :

L'accès à ces 2 prestations est donc indépendant des ressources du demandeur, qui sont prises en compte pour calculer le montant effectif versé au bénéficiaire, sur la base de critères objectifs applicables indistinctement à tous les bénéficiaires en fonction de leur niveau de revenus (articles L. 232-4, paragraphes 1 et 2 et L. 245-6 du code de l'action sociale et des familles).

La Cour conclut que la prise en compte des ressources du bénéficiaire aux seules fins du calcul du montant de l'APA ou la PCH sur la base de critères objectifs et légalement définis n'implique pas une appréciation individuelle des besoins personnels de ce bénéficiaire par l'autorité compétente.

3.3. Réponse à l'argumentaire du gouvernement français

En réponse aux observations écrites présentées par le gouvernement français dans le cadre de l'affaire, la Cour ajoute que :