Affaire C 244/94

Fédération Française des Sociétés d'Assurance, Société Paternelle-Vie, Union des Assurances de Paris-Vie, Caisse d'assurance et de Prévoyance Mutuelle des Agriculteurs contre Ministère de l'agriculture et de la pêche

Arrêt du 16 novembre 1995

Notion d'entreprise - Libre concurrence - Gestion d'un régime complémentaire facultatif de sécurité sociale

"Un organisme à but non lucratif, gérant un régime d'assurance vieillesse destiné à compléter un régime de base obligatoire, institué par la loi à titre facultatif et fonctionnant, dans le respect de règles définies par le pouvoir réglementaire, notamment en ce qui concerne les conditions d'adhésion, les cotisations et les prestations, selon le principe de la capitalisation, est une entreprise au sens des articles 85 et suivants du Traité CE".

La Fédération Française des Sociétés d'Assurance, la Société Paternelle-Vie, l'Union des Assurances de Paris-Vie et la Caisse d'Assurance et de Prévoyance Mutuelle des Agriculteurs ont introduit un recours devant le Conseil d'État au sujet du régime complémentaire facultatif d'assurance vieillesse des non-salariés agricoles en application de l'article 1122-7 du code de rural. Le décret fixant l'organisation et les modalités de fonctionnement de ce régime (décret n° 90-1051) prévoit que le régime est alimenté par des cotisations volontaires déductibles du revenu professionnel imposable. La gestion du régime est confiée à la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse Mutuelle Agricole (CNAVMA), assistée par les caisses de la Mutualité Sociale Agricole au niveau local.

Les sociétés d'assurance faisaient valoir que l'attribution du monopole de la gestion de ce régime prévoyant des déductions fiscales à la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse Mutuelle Agricole et aux caisses de la Mutualité Sociale Agricole qui gèrent déjà les régimes obligatoires des exploitants agricoles plaçait ces caisses dans une position dominante susceptible de provoquer l'élimination progressive de toutes les entreprises concurrentes du secteur.

La Cour de Justice des Communautés Européennes, en réponse aux arguments du gouvernement français qui faisait valoir que le régime était géré par des organismes chargés des régimes de base de sécurité sociale et que l'organisme gestionnaire ne poursuivait aucun but lucratif, précise que dans le cadre de la concurrence la notion d'entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique ou de son mode de fonctionnement.

Elle rappelle que dans l'arrêt Poucet-Pistre (C 159/91 et C 160/91), elle avait déclaré que la solidarité existant tant dans le régime d'assurance maladie que dans le régime d'assurance vieillesse impliquait que les régimes soient gérés par un organisme unique et que l'affiliation soit obligatoire. Elle relève que l'affiliation au régime complémentaire est facultative, que le régime fonctionne sous forme de capitalisation où les droits dépendent des cotisations versées ainsi que des résultats financiers des placements des institutions gestionnaires.

Le fait de mettre à la disposition du régime les ressources correspondantes aux cotisations versées en cas de décès prématuré de l'assuré, d'exempter du paiement des cotisations en cas de maladie ou en cas de difficultés économiques de l'exploitation n'est pas, au sens de la Cour, suffisant pour apporter la preuve du principe de solidarité. En effet, de telles dispositions existent déjà dans certaines assurances vie de groupe, La Cour ajoute que peu importe que du fait de son statut l'institution subisse des restrictions au niveau des investissements qui pourrait rendre le régime moins compétitif. Enfin, elle ajoute que le fait de ne pas poursuivre un but lucratif n'est pas déterminant pour enlever sa nature économique à l'activité.

Elle conclut que la caisse agricole gérant un régime d'assurance vieillesse facultatif complémentaire à un régime de base est une entreprise au sens de l'article 85 du Traité, même si cet organisme est à but non lucratif.