Affaire C-222/18

VIPA Kereskedelmi és Szolgáltató Kft. contre Országos Gyógyszerészeti és Élelmezés-egészségügyi Intézet (Institut national de la pharmacie et nutrition, Hongrie)

Arrêt du 18 septembre 2019

Renvoi préjudiciel - Soins de santé transfrontaliers - Directive 2011/24/UE - Article 3, sous k), et article 11, paragraphe 1 - Prescription - Notion - Reconnaissance d'une prescription établie dans un autre Etat membre par une personne habilitée - Conditions - Libre circulation des marchandises - Interdiction des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'exportation - Articles 35 et 36 TFUE - Restriction à la délivrance par une pharmacie de médicaments soumis à prescription médicale - Bon de commande émis dans un autre Etat membre - Justification - Protection de la santé et vie des personnes - Directive 2001/83/CE - Article 81, deuxième alinéa - Approvisionnement de la population d'un Etat membre en médicaments

L'article 3, sous k), et l'article 11, paragraphe 1, de la directive 2011/24/UE relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation d'un Etat membre interdisant à une pharmacie de cet Etat de délivrer des médicaments soumis à prescription médicale sur la base d'un bon de commande lorsqu'il a été émis par un professionnel de santé habilité à prescrire des médicaments et exercer son activité dans un autre Etat membre, alors que cette délivrance est permise lorsqu'un tel bon de commande a été émis par un professionnel de santé habilité à exercer son activité dans le premier Etat, étant précisé que, conformément à cette réglementation, les bons de commande ne comportent pas le nom du patient concerné.

Les articles 35 et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une telle réglementation d'un Etat membre, dans la mesure où cette réglementation est justifiée par un objectif de protection de la santé et vie des personnes, est propre à garantir la réalisation de cet objectif et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

I. Faits

VIPA est une entreprise hongroise exploitant une pharmacie. Lors d'un contrôle, l'Institut national de la pharmacie et nutrition (Hongrie) a constaté que VIPA avait délivré illégalement des médicaments soumis à prescription médicale, sur la base de bons de commande émis par des professionnels de santé non autorisés à exercer en Hongrie. Certaines commandes émanaient d'une société médicale établie au Royaume-Uni et d'autres d'un médecin exerçant en Autriche.

L'Institut a infligé à VIPA une amende d'environ 140 000 €, lui a interdit la poursuite de l'activité de délivrance illégale de médicaments dans la pharmacie concernée et en a retiré l'autorisation d'exploitation.

II. Litige national et question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)

VIPA conteste cette sanction administrative.

Dans cette affaire, la législation hongroise prévoit que la délivrance par une pharmacie, sur la base de bons de commande (et non d'ordonnances nominatives), de médicaments soumis à prescription médicale est autorisée si le bon de commande émane d'un professionnel de santé habilité à exercer en Hongrie (et non dans un autre Etat membre).

La juridiction nationale compétente s'interroge sur la conformité de cette réglementation nationale au droit de l'Union, en particulier la directive 2011/24UE relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers et la liberté de circulation des marchandises.

Elle se demande notamment si les bons de commande, qui ne comportent pas le nom du patient auquel le/les médicaments commandés sont destinés, relèvent de la notion de prescription au sens de l'article 3, sous k), de la directive et sont soumis à l'obligation de reconnaissance des prescriptions établies dans d'autres Etats membres prévue à l'article 11, paragraphe 1.

III. Réponse de la Cour

A. Notion de prescription au sens de la directive 2011/24/UE

Principe de reconnaissance des prescriptions établies dans les autres Etats membres

La CJUE rappelle d'abord que l'article 3, sous k), de la directive 2011/24/UE définit une prescription médicale comme étant une prescription pour un médicament ou dispositif médical émanant d'un membre d'une profession de la santé réglementée, qui est légalement autorisé à exercer dans l'Etat membre de délivrance de la prescription. Son libellé ne précise pas si une prescription doit ou non comporter le nom du patient auquel le médicament ou dispositif médical prescrit est destiné.

L'article 11, paragraphe 1, alinéa 1, de la directive 2011/24/UE prévoit une obligation de reconnaissance des prescriptions établies dans les autres Etats membres. Pour les médicaments dont la mise sur le marché sur leur territoire est autorisée, cette disposition impose aux Etats membres de veiller à ce que les prescriptions établies dans un autre Etat membre puissent en principe être délivrées sur leur territoire. Elle vise les prescriptions établies pour un patient nommément désigné.

Caractère nominatif de la prescription

La Cour détermine si l'obligation de reconnaissance des prescriptions s'applique à des bons de commande, comme dans cette affaire, qui ne comportent pas le nom du patient auquel le/les médicaments commandés sont destinés. Elle examine les termes de l'article 11, paragraphe 1, de la directive 2011/24/UE, son contexte et les objectifs poursuivis par la directive.

Elle relève qu'à l'exception des versions en langues hongroise et portugaise de l'article 11, paragraphe 1, de la directive 2011/24/UE, toutes les autres versions linguistiques de cette disposition font expressément référence à une prescription visant un patient nommé, désigné, particulier, précis, déterminé, spécifique ou encore concret.

S'agissant du contexte, conformément à l'article 11, paragraphe 2, de la directive 2011/24/UE, son paragraphe 1 a fait l'objet de mesures visant à faciliter son application uniforme, dont la directive d'exécution 2012/52/UE. Cette directive d'exécution indique à son article 2 qu'elle s'applique aux prescriptions, telles que définies à l'article 3, sous k), de la directive 2011/24/UE, établies à la demande d'un patient qui entend les utiliser dans un autre Etat membre. L'article 3 de la directive d'exécution précise que les Etats membres veillent à ce que ces prescriptions comportent au moins les éléments indiqués en annexe, dont notamment les données d'identification du patient consistant en ses nom(s) et prénom(s).

La CJUE en déduit que seules peuvent bénéficier de la reconnaissance des prescriptions prévue à l'article 11, paragraphe 1, de la directive 2011/24/UE les prescriptions sur lesquelles figurent notamment le nom du patient concerné.

Les objectifs poursuivis par la directive 2011/24/UE confirment cette interprétation. Cette directive prévoit des règles visant à faciliter l'accès des patients, à titre individuel, à des soins de santé transfrontaliers sûrs et de qualité élevée (article 1er, paragraphes 1 et 2 ; considérants 10 et 11). La directive fait notamment référence à la situation du patient qui achète des médicaments dans un Etat membre autre que celui dans lequel la prescription a été établie (considérant 16). Elle précise aussi que la mise en oeuvre du principe de reconnaissance devrait être facilitée par l'adoption de mesures nécessaires pour préserver la sécurité des patients, dont la définition d'une liste non exhaustive d'éléments à inclure dans les prescriptions (considérant 53).

Dans cette affaire, les bons de commande ont pour objet de permettre non pas à un patient de se procurer des médicaments, mais à un professionnel de santé de commander des médicaments en vue de leur utilisation ultérieure dans le cadre de son activité (prise en charge de patients ou approvisionnement d'un établissement dispensant des soins de santé). De plus, l'absence des données d'identification du patient auquel le/les médicaments commandés sont destinés ne permet pas de garantir la sécurité et santé du patient auquel ce/ces médicaments seront finalement administrés, ce patient étant inconnu au moment de l'établissement des bons de commande.

La CJUE conclut que les bons de commande ne relèvent pas de l'obligation de reconnaissance des prescriptions prévue à l'article 11, paragraphe 1, de la directive 2011/24/UE.

B. Restriction à la libre circulation des marchandises justifiée pour des raisons de protection de la santé

La Cour considère que cette affaire concerne les échanges entre Etats membres et relève des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) relatives aux libertés fondamentales, en particulier la libre circulation des marchandises. La législation hongroise en cause encadre les conditions de délivrance, par les pharmacies nationales, de médicaments soumis à prescription lorsqu'ils sont commandés par des professionnels de santé exerçant leur activité dans un autre Etat membre. Cette situation correspond à un mouvement transfrontalier de marchandises qui réside dans la vente, à partir d'un Etat membre et à destination d'autres Etats membres, de médicaments soumis à prescription.

L'article 35 du TFUE interdit les mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'exportation entre les Etats membres. Il s'applique dans cette affaire à l'exportation de médicaments soumis à prescription depuis la Hongrie vers d'autres Etats membres. En effet, lorsque ces médicaments sont commandés par des professionnels de santé non habilités à exercer en Hongrie, mais habilités dans d'autres Etats membres, ils sont destinés à la prise en charge de patients dans un autre Etat membre et donc à quitter la Hongrie.

Une mesure nationale qui restreint la liberté de circulation des marchandises peut toutefois être justifiée conformément à l'article 36 du TFUE, en particulier pour des raisons de protection de la santé et vie des personnes. Le gouvernement hongrois invoque plus précisément la nécessité de garantir un approvisionnement stable, sûr et de qualité de sa population en médicaments.

La CJUE rappelle que pour être valablement justifiée, une réglementation de nature à restreindre la libre circulation des marchandises doit remplir 2 conditions cumulatives :

L'examen de ces conditions relève de la compétence des juridictions nationales. La Cour précise cependant que :

En réponse à l'argumentaire de la Commission européenne, qui invoque la possibilité d'atteindre cet objectif par des mesures moins restrictives (limitation de la quantité de médicaments pouvant être commandés au moyen de bons de commande, encadrement de la possibilité pour les pharmacies d'honorer les bons de commande en fonction du stock), la CJUE ajoute que lors de leur exportation au moyen de bons de commande, les médicaments soumis à prescription, dont l'approvisionnement au public nécessite un contrôle strict, sortent du système de distribution mis en place par la Hongrie. Or, aucune des mesures envisagées par la Commission ne permet à cet Etat d'assurer, aussi efficacement que par la réglementation en vigueur, mais de manière moins restrictive, un contrôle des conditions dans lesquelles sont distribués ces médicaments sur son territoire.