Affaire C 120/95

Nicolas Decker contre Caisse de Maladie des Employés Privés

Arrêt du 28 avril 1998

Libre circulation des marchandises - Articles 30 et 36 du Traité - Remboursement des frais médicaux engagés dans un autre État membre - Autorisation préalable de la caisse compétente - Achat de lunettes

"Les articles 30 et 36 du Traité CE s'opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle un organisme de sécurité sociale d'un État membre refuse à un assuré le remboursement forfaitaire d'une paire de lunettes avec verres correcteurs achetée auprès d'un opticien établi dans un autre État membre, au motif que l'achat de tout produit médical à l'étranger doit être au préalable autorisé".

Monsieur Decker, ressortissant luxembourgeois a acheté une paire de lunettes en Belgique sur prescription d'un médecin luxembourgeois. La caisse luxembourgeoise a refusé de procéder au remboursement au motif que les lunettes avaient été achetées à l'étranger sans autorisation préalable.

La juridiction luxembourgeoise a demandé à la Cour de justice des communautés européenne si le fait de ne pas accepter de rembourser des lunettes prescrites sur le territoire de l'État compétent et achetée sur le territoire d'un autre État est compatible avec les articles 30 et 36 du traité. Les gouvernements intervenus dans cette affaire avaient fait valoir que la réglementation en cause, concernant le domaine de la sécurité sociale ne pouvait pas relever des dispositions de l'article 30 du traité.

La Cour indique qu'en l'absence d'harmonisation des législations, les États membres restent libres de fixer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier ainsi que les conditions d'obtention des prestations, mais ils doivent pour ce faire respecter le droit communautaire. Le fait que la réglementation en cause relève du domaine de la sécurité sociale n'est pas de nature à l'exclure de l'application de l'article 30 du traité.

Sur l'argument du gouvernement luxembourgeois qui fait observer que sa position est conforme aux dispositions de l'article 22 du règlement communautaire prévoyant le transfert de résidence autorisé, la Cour réplique que ce n'est pas parce qu'une mesure nationale est conforme à une disposition dérivée du droit communautaire que cette mesure échappe aux dispositions du traité.

Certes, l'article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement (CEE) n° 1408/71 prévoit qu'un assuré peut être autorisé à se rendre sur le territoire d'un autre État membre pour recevoir des soins et que dans ce cas, les frais médicaux exposés sont remboursés sur la base des tarifs de l'État où les soins sont reçus, mais la Cour précise que l'article 22 n'a nullement pour objectif d'empêcher les États de rembourser, selon leurs propres tarifs, les produits médicaux achetés sur le territoire d'un autre État membre, même en l'absence d'autorisation préalable.

Après avoir observé que le règlement (CEE) n° 1408/71 n'avait aucune incidence sur la réglementation en cause, la Cour examine la portée de cette réglementation par rapport à la libre circulation des marchandises.

Dans leurs observations, les gouvernements faisaient observer que la réglementation n'avait pas pour objet de restreindre les flux commerciaux mais se contentant d'établir les règles auxquelles le remboursement est subordonné. Cette réglementation n'a pas pour but d'interdire d'importer des lunettes, elle est simplement destinée à inciter les assurés du régime luxembourgeois à acheter les lunettes chez des opticiens établis au Luxembourg.

La Cour indique qu'effectivement la réglementation n'interdit pas l'achat de produits médicaux en dehors du territoire national, mais le fait de subordonner cet achat hors du territoire national à une autorisation préalable, alors qu'un tel achat sur le territoire national n'est soumis à aucune autorisation, constitue une entrave à la libre circulation des marchandises. Le gouvernement luxembourgeois justifie cette réglementation en faisant valoir l'équilibre financier du régime et la protection de la santé publique.

Au premier argument avancé, la Cour réplique que l'équilibre financier du régime ne peut pas être mis en cause, dans la mesure où le remboursement forfaitaire des lunettes est le même, si les lunettes sont achetées sur le territoire luxembourgeois ou hors du territoire luxembourgeois.

A l'argument de santé publique, la Cour fait valoir que l'accès et l'exercice des professions réglementées ont fait l'objet de directives, et l'achat d'une paire de lunettes chez un opticien établi sur le territoire d'un autre État membre présente les mêmes garanties qu'un achat sur le territoire de l'État compétent. Par ailleurs, la protection de la santé publique est garantie dans la mesure où les lunettes ont été prescrites par un ophtalmologiste.

La Cour conclut que la législation d'un État membre ne peut pas refuser à un assuré le remboursement de produits médicaux achetés sur le territoire d'un autre État membre au motif que tout achat de produit médical doit faire l'objet d'une autorisation préalable.